Archives de la Ville d’Aubervilliers

« On est des déportés à vie »

publié le 6 avril 2005 (modifié le 20 mars 2018)

Après la guerre, on errait dans Paris, comme des cloches, sans un sou... » Adrien Huzard ferme ses yeux embués, respire péniblement.
Derrière ses paupières fatiguées, revit-il ses souvenirs empreints de l’horreur, de l’indicible fait aux déportés ? En 1944, il a 24 ans lorsqu’il est envoyé dans le camp de concentration de Mauthausen.
Il n’est pas juif, il est communiste et ardent défenseur de ses compagnons d’infortune, marqués de l’étoile jaune.
« Je me souviens d’un gars, un tchèque qui avait tenté de s’évader.
Après l’avoir rattrapé, les SS l’ont battu férocement, l’ont monté sur une charrette et lui ont fait faire le tour du camp, affublé d’un chapeau pour le ridiculiser, puis ils l’ont pendu. Nous étions obligés d’assister à cela en chantant... »

De retour de l’enfer, Adrien Huzard fera de sa vie, un long témoignage. « Pour me convaincre qu’on n’a pas enduré tout cela pour rien, que je ne me suis pas battu pour rien... »
Pour sa fille, ses petits-enfants, les collégiens et les lycéens d’Aubervilliers qu’il visitait régulièrement, pour tous ceux qui l’obligent à exhumer ses « souvenirs qui ne parlent que de mort » Adrien raconte. Mais il cherche ses mots pour dire l’inénarrable.
« Comment expliquer l’atmosphère qui règne autour de celui qui va mourir ? pourquoi tous ces morts, ces enfants, ces camarades disparus. Pourquoi eux, pourquoi pas moi ?... » Les larmes coulent sur ses joues. A 85 ans, la douleur est intacte. « On est des déportés à vie, après tant d’horreurs on ne peut plus vivre comme tout le monde ... »

Pourtant, cette période terrible n’aura pas raison du militant, du jeune ouvrier métallurgiste, syndicaliste chaleureux et généreux qu’il était.
Et s’il n’a pas vécu la libération des camps comme une fête, il emploiera toute son existence à faire vivre la mémoire de ceux qui n’en sont pas revenus, mais aussi de ceux qui sont tombés au coin d’une rue, dans l’anonymat, simplement parce qu’ils transportaient des messages de paix.
« Je voudrais tant que plus personne ne revive cela ! Je donnerai ma vie pour qu’aucun enfant n’ait à connaître ce que nous avons enduré... »

Survivre pour témoigner

Dans son cœur si lourd, il n’y a pas de place pour la haine. « Mais j’en veux à cette idéologie du fascisme qui a aveuglé et trompé tant de monde... Ce sont les sales idées qui divisent les hommes.
Si les peuples avaient été unis et solidaires comme nous l’étions dans les camps, tout cela ne serait pas arrivé... »

Aujourd’hui handicapé par une cécité quasi totale, Adrien Huzard se désole de ne plus pouvoir se déplacer dans les écoles de la ville.
Il aimait par dessus tout ce contact avec « ces jeunes que l’on dit insouciants et inconséquents mais qui savent poser les bonnes questions et être réceptifs aux choses graves. »
Pour eux, pour nous, Adrien Huzard s’est résigné à survivre pour témoigner, pour dire « non au fascisme » et à son cortège d’horreurs.
Merci à lui d’accepter de porter ce lourd fardeau de ce passé peu glorieux d’une Europe désunie et inhumaine.

Maria Domingues