Un blog sur le quotidien de la cité République
Contenu
Au 10e étage, couloir rouge, Karim vient d’emménager au printemps. Juste un locataire de plus cité République ?
Etrange, le voisin... Plusieurs semaines durant, il déambule dans les coursives de l’énorme paquebot, le plus grand HLM d’Aubervilliers, - 284 logements sur dix-sept étages -, amarré le long de l’avenue du même nom.
Calepin dans une main, il prend des notes, au hasard des paliers. Portable dans l’autre, il fait des photos.
Un bonjour dans l’ascenseur, une discussion amorcée... et il griffonne !
Une confidence d’une mère de famille à la laverie, un échange avec des jeunes qui tiennent les murs, il écrit derechef !
Mais qui est ce type ? A peine le temps de se poser la question, qu’il a déjà disparu... Un mois après son arrivée, Karim a plié bagages.
Définitivement ? Pas tout à fait...
La trace de son éphémère passage, on la retrouve sur Internet, dans un blog consacré à l’ex-cité Lénine (www.cclblog.org).
On y lit ce qu’il a noté sur son calepin au jour le jour.
Des pages de commentaires sur la cité, des descriptions des lieux, des bouts de conversations retranscrites.
Une sorte de journal de bord complété d’informations sur les origines de République et sur l’architecture si particulière de l’immeuble.
Le ton est singulier, et c’est là que l’on apprend que ce blog fait partie d’un projet de l’artiste Dora Garcia.
Karim s’est immergé au cœur de la cité à sa demande pour saisir un quotidien qui prendra place dans une exposition à venir.
Le destin de la bâtisse et de ses habitants
Cette expo, on pourra la voir à partir du 16 septembre, sur place, dans l’appartement qu’occupait le jeune homme.
Aux textes s’ajouteront des documents graphiques ainsi que des enregistrements sonores et vidéos.
Un panorama qui ressemblera sans doute à un kaléidoscope d’instantanés s’opposant : entre la cité construite en 1970 comme un immeuble-manifeste, et la réalité d’aujourd’hui, dégradée dans le bâti et dans les vies.
Rétrécies les ambitions malgré les restes d’une vitalité populaire, communautarisés les paliers, rendus vieux les jeunes et peureux les vieux...
C’est du moins ce qu’il ressort des textes du blog qui ne manqueront pas de faire réagir.
Non que l’état de la cité, toujours en attente des fonds de l’Agence nationale de rénovation urbaine qui permettront sa réhabilitation, ne suscite pas l’inquiétude des locataires.
Au contraire. Dégradations, squattage d’un étage, ascenseurs en rade, mauvaise ambiance, il y a un côté Titanic dans ce paquebot...
Sauf que Lénine ne se limite pas à ses échecs diront certains (et le blog a déjà suscité un post dans ce sens d’un locataire).
La critique sera peut-être qu’à vouloir faire une photographie clinique, le regard n’a porté que sur les plaies.
Reste que ces textes ont une force. Surtout quand ils parlent de la cité de façon quasi organique, mélangeant le destin de la bâtisse et de ses habitants.
Le travail de Dora Garcia et de son collaborateur, invités par les Laboratoires d’Aubervilliers dont on sait l’esprit novateur, s’inscrit dans le cadre de la biennale Art Grandeur Nature organisée par le Conseil général sur le thème des « Mutations urbaines » (programme complet sur www.seine-saint-denis.fr).
En complément de l’expo Lénine, une précédente œuvre de Dora
Garcia, « Chambres, conversations », sera visible aux Labos.
Un film où il est question de communauté sous contrôle, un thème récurrent chez l’artiste.
Frédéric Medeiros
Le 6 septembre 2006