Archives de la Ville d’Aubervilliers

Marchands de sommeil au tapis

publié le 3 décembre 2013

Vrai que la presse nationale avait
bien soigné ses manchettes : Ils
louaient des taudis 400 euros par
mois
, « Le Parisien », Un marchand de
sommeil, riche à en payer l’ISF, devant les
juges
, « Libération ».
Si bien que le 15 novembre
dernier, les marchands de sommeil
présumés n’ont évidemment pas daigné
se rendre au tribunal pour entendre le
jugement de l’affaire du 15 rue des Noyers.
Bien présente dans la salle et flanquée des
personnels de la Ville qui ont contribué à
étayer le dossier, Evelyne Yonnet tend
l’oreille en direction du juge qui chuchote
le verdict.
La première adjointe au maire
d’Aubervilliers, qui a fait de la lutte contre
le logement indigne l’un de ses chevaux
de bataille, prend consciencieusement
note de la condamnation d’Alex Chemla,
54 ans, considéré comme gérant réel de la
SCI Dylan, à laquelle étaient associés sa
fille Priscilla et son neveu Cédric Chemla :
coupable d’avoir créé des habitations en infraction
aux règles de l’urbanisme, de soumission
de personnes vulnérables à des
conditions d’hébergement contraire à la
dignité, d’aide au séjour irrégulier.

L’addition ? Pour le père ce sera deux ans
de prison avec sursis (assortis de deux ans
de mise à l’épreuve), des amendes de
40 000 € pour sa société et de 30 000 à
titre personnel, des dommages et intérêts
de 1 500 € par personne pour la plupart
des vingt « locataires » de la rue des
Noyers.

150 000 € de loyers en 5 ans

Ayant pris acte de ce que chez les Chemla
on entretient l’esprit de famille, le tribunal
a distribué les amendes, 15 000 pour la fille,
10 000 pour le neveu.
En outre, la petite
main en charge de collecter les loyers pour
le Big Boss a écopé d’un an avec sursis…

Et les Haïtiens ?
Trois familles ont pu être
relogées sur la ville, les autres se débrouillent,
hébergées ici et là.
On capte le regard
de l’un deux, présent à l’audience et très
discret. Content cet homme-là, parce que
la justice les aura reconnus comme victimes.
Victimes, parce que c’était quoi le 15 rue des
Noyers ?

Une belle et bonne adresse pour Alex
Chemla qui a engrangé ici 150 000 € de
loyers entre 2008 et 2013.
Voilà un individu
déjà condamné dans d’autres affaires qui
s’enorgueillit d’un patrimoine immobilier de
2,7 millions sur la région, paye l’ISF avec
Madame, dont la rente foncière s’élève à
200 000 € l’an.

L’envers de cette fortune, ce sont ces vingt
familles, soixante-dix personnes originaires
d’Haïti, une dizaine d’enfants en bas âge, qui
se sont entassés durant 5 ans dans des
clapiers insalubres à l’étage d’une ancienne
usine d’un taudis albertivillarien, où jusqu’à
6 personnes se partageaient parfois moins
de 10 mètres carrés.

Dans cet univers de fils électriques dénudés
et d’infiltrations d’eau, on n’ose imaginer
ce qu’eût engendré un incendie :
« Rapidement, on a prescrit des travaux
d’urgence, puis en l’absence de réponse du
propriétaire, on a effectué des travaux de
substitution et, finalement, pris des mesures
d’interdiction à l’habitation »
, rappelle
Stéphane Fernandes, inspecteur du
service d’Hygiène et santé de la Ville, à
l’origine du signalement.
Un travail efficace
puisque le bâtiment sera évacué en avril
dernier sur réquisition du parquet.

Avis aux amateurs

Et la municipalité ne lâchera pas l’affaire,
la ficelant méthodiquement grâce aux
efforts conjoints des services Hygiène, de
l’Urbanisme, de la Direction des Affaires
juridiques et encore des policiers de la cellule
contre l’habitat indigne de l’Utile 93.

Résultats des courses ? « Nous sommes
reconnus comme victimes en tant que partie
civile, c’est une première et c’est un signal
fort en direction de tous les marchands
de sommeil »
, estime Evelyne Yonnet, qui
regrette cependant que la confiscation de
l’immeuble n’ait pas été prononcée.

Pour autant, les choses n’en resteront peut-être
pas là si l’on considère que le parquet
a fait appel sur cette question.

A suivre donc, tout comme une autre affaire
dans laquelle la Ville s’est également portée
partie civile et qui était jugée le 28 novembre.
Au tapis aussi ? Qui sait…

Eric Guignet
Le 3 décembre 2013