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Une saison en enfer

Eté 59, dans les
montagnes kabyles,
une section de
soldats français
et ses harkis
s’enfoncent dans
la guerre...
Aux côtés de
Benoît Magimel,
d’Albert Dupontel
ou de Fellag,
le comédien
albertivillarien
Lounès Tazaïrt est
saisissant de vérité.

Eté 59, dans les
montagnes kabyles,
une section de
soldats français
et ses harkis
s’enfoncent dans
la guerre...
Aux côtés de
Benoît Magimel,
d’Albert Dupontel
ou de Fellag,
le comédien
albertivillarien
Lounès Tazaïrt est
saisissant de vérité.

Lorsqu’il a fallu que j’emmène
Fellag pour la “corvée de bois”,
ça m’a fait tout drôle », avoue
Lounès Tazaïrt, le sourire un peu de
travers.
Fellag et Lounès, des amis de
longue date : le premier, humoriste au
talent doux-amer, est le plus connu.
Le second, lui aussi show man (Les
salades à Malek, Les spasmofolies
d’Omar), mériterait de l’être autant.
Dans le film-événement sur la guerre
d’Algérie à l’écran depuis mercredi,
l’un joue un « rebelle », l’autre un
harki.

Dans ces années-là, s’agissant de ce
qu’il se passait sur la rive opposée de
la Méditerranée, les euphémismes
étaient de mise.
A Paris, on parlait
officiellement « des événements ». Et
sur le terrain, de « corvées de bois »
plutôt que d’exécutions sommaires...
Quelques pelletées de faux-semblants
pour enterrer un vrai charnier.

Un demi-siècle plus tard, L’Ennemi
intime nous remet ce vocabulaire en
tête.
Ce décalage entre les mots et la
réalité, c’est justement ce qui permet
de comprendre la génération de
gamins envoyés là-bas.
Une classe
d’âge qui s’est tu à son retour et pour
longtemps.

Enrôlés dans une double guerre, coloniale et civile

Du même nom que le film qui sort,
il aura fallu attendre un documentaire
récent pour déchirer définitivement
ce silence.
Vue par neuf millions de
téléspectateurs, une somme de témoignages
poignants en guise de confession
publique.
Qu’avaient-ils croisé de
si monstrueux en Algérie pour avoir
aussi peur ?
L’ennemi le plus impla-
Il aura fallu beaucoup de persévérance à cette ancienne prof
pour se faire publier.
Plus qu’un hobby, écrire c’est sa vie.
Aelle seule, sa prose pourrait
remplir un rayon de bibliothèque.

Avec dix-huit romans,
Claude Damian a, derrière elle, ce
qu’il convient d’appeler une oeuvre.
Jamais entendu parler de cet écrivain
albertivillarien ? Normal.
Jusqu’à cette
année, elle n’avait rien publié... « Ils
ont rejeté tous mes manuscrits »
« Ils ? » Les éditeurs, bien sûr.

Trois décennies de refus ! De
Flammarion ou de Plon, Claude ne
connaît que le tampon sur des lettres
qui disent non.
A chaque nouvel opus
envoyé, la même réponse postée de
Saint-Germain-des-Prés.
Avec, que la
missive soit lapidaire ou adoucie de
quelques mots gentils, la même
déception...

Rosine, de son vrai prénom (Claude
Damian, c’est un pseudonyme), semblait
devoir rester un auteur anonyme.
Dommage.
Non pas qu’elle ait noirci
des milliers de pages pour pouvoir fréquenter,
un jour, le Café de Flore.
Justement
et simplement, le regret « de ne
pas pouvoir partager mon goût d’écriture
avec quelques lecteurs. »
cable qui soit. Eux-mêmes.

Livrés à
tous les arbitraires sanglants d’un
conflit qu’on leur avait présenté à
l’origine comme « une simple opération
de maintien de l’ordre ».
Eux-mêmes,
enrôlés dans une double
guerre, coloniale et civile, pour des
horreurs redoublées...
Le documentaire
était l’oeuvre de l’historien
Patrick Rotman, le scénario du film
éponyme aussi.

« Ici, il s’agit bien d’une fiction,
explique Lounès Tazaïrt. Mais tout ce
qui s’y passe aurait pu, ou plutôt, a pu
arriver, puisque l’imagination de
l’auteur s’est nourri de ce qui lui a été
raconté pour les anciens appelés. »
L’action de L’Ennemi intime ? « On se
retrouve à l’avant-poste, avec un section
de soldats français et ses harkis.

Les gars qui débarquent de la métropole
ont vingt ans.
Tous différents
mais tous perdus aux confins d’un
pays qu’on leur a dit être la France et
dont ils ignoraient cette frontière.
Il y
a là un lieutenant idéaliste - Benoît
Magimel - que la réalité sale de la
guerre va tordre.

Et aussi un sergent
désabusé - Albert Dupontel - qui
donne l’impression de s’être défait de
son âme pour supporter le pire.
Et
puis il y a les autres, les supplétifs.
Avec leur fierté et leurs dilemmes. Perdus,
eux aussi.
Moi, je joue un harki,
vétéran de la Seconde Guerre mondiale,
héros de Monte Cassino.
Un
soldat dont la valeur a fait le malheur
de sa famille, massacrée en représailles
par le FLN. Un type désormais
condamné au présent.
Sans avenir, et
donc ramené à sa part de bestialité... »
Lounès, le harki ?
Lui dont le père,
militant actif de l’indépendance, a
failli sauter quand l’OAS a plastiqué
son troquet parisien ?
« Gamin à
Aubervilliers, je me souviens que la
question des origines des uns et des
autres ne se posait pas trop à l’époque.

Nous étions tous des pauvres et puis
voilà... Mais avec la guerre, certains
ont changé.
A Paul Bert, il y avait cet
instituteur qui a été rappelé.
Quand il
est revenu, il parlait beaucoup des fellagas
et me jetait des coups d’oeil
bizarres ! »

Le comédien qui avait fait ses
premiers pas au cinéma dans Fort
Saganne, une épopée coloniale flamboyante,
est assez fier d’avoir participé
à l’aventure très sombre de L’Ennemi
intime.
« Les Américains n’ont pas
attendu dix ans avant de mettre à
l’écran l’horreur du Vietnam avec
Apocalypse Now ou Voyage au bout de
l’enfer.
En France, hormis quelques
films militants, la guerre d’Algérie est
restée de côté. »

Spectaculaire comme du cinéma de
genre, en plans serrés parce que la
bataille principale se déroule sur le
terrain des consciences, L’Ennemi
intime comble ce trou de mémoire.
Et
la performance de Lounès Tazaïrt
s’imprime dans la nôtre...

Frédéric Medeiros
Le 4 octobre 2007

RENCONTRE AU STUDIO

Dimanche 28 octobre à 17 h 30
Projection de L’ennemi intime
suivie d’un débat avec Lounès Tazaïrt

Cinéma Le Studio
2 rue Edouard Poisson.
Réservation obligatoire au
01.48.33.52.52

En savoir plus :

sur le Cinéma

 

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